Par Bibi Pacôme MOUGUE
Le 18 septembre 2025, le professeur Kossivi HOUNAKE est nommé Président de l’Université de Lomé par décret du Président du Conseil des ministres, Faure Essozimna GNASSINGBE.
Par deux arrêtés en date du 08 octobre 2025, le professeur Kossivi HOUNAKE a, d’une part, créé un poste de directeur de cabinet du Président de l’Université de Lomé (Arrêté n°057/UL/P/SG/2025) et, d’autre part, nommé Monsieur Kodjo SOSOE, maître-assistant à la FSHS, au poste de directeur ainsi créé (Arrêté n°060/UL/P/SG/2025). L’arrêté n°057/UL/P/SG/2025 portant création du poste de directeur de cabinet du Président de l’Université de Lomé a rang de directeur de service central de l’Université.
Le 8 octobre 2025, Monsieur Mama OMOROU est nommé ministre de l’Éducation nationale par décret du Président du Conseil des ministres, Faure Essozimna GNASSINGBE. Le même décret nomme, Monsieur Gado TCHANGBEDJI, ministre délégué auprès du Ministre de l’Éducation nationale, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, en remplacement de Monsieur Kanka-Malik NATCHABA.
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Le 06 novembre 2025, Monsieur Mama OMOROU adresse une lettre circulaire aux Présidents des Universités publiques du Togo. Cette lettre circulaire a pour objet de rappeler des dispositions réglementaires relatives à la création de directions centrales et à la nomination de responsables au sein des Universités Publiques du Togo.
Dans cette lettre circulaire Monsieur Mama OMOROU rappelle qu’ « En effet conformément à la loi n°97-14 du 10 septembre 1997 portant statuts des universités publiques du Togo, modifiée par la loi n°2014-002 du 9 avril 2014, il est prévu que les universités sont des établissements publics (…) soumis à des règles de nomination de responsables auxquelles nul ne saurait déroger ».
Dans cette optique, le ministre souligne que « cette législation dispose que les organes de direction doivent être pourvus dans le strict respect des modalités fixées par décret ou arrêté, après délibération des instances compétentes de l’université, et que toute nomination finale requiert un décret ou un arrêté le cas échéant ».
Aussi, le ministre rappelle-t-il « avec insistance, que la création de service de l’administration centrale des universités ou de toute nouvelle direction, service ou entité administrative technique, ainsi que la nomination de leurs responsables, ne sauraient être initiées unilatéralement par un président d’université sans l’autorisation expresse du ministre de l’Éducation nationale ou en dehors des modalités prévues par les textes en vigueur ».
On le voit. La passe d’armes qui se déroule entre le nouveau Président de l’Université de Lomé et le ministre de l’Éducation nationale, soulève une problématique de compétences à double détente, ainsi que le titre de la présente publication le reflète. C’est donc aussi dans une dynamique en deux temps que j’essaierai d’y apporter des réponses, dans les lignes qui suivent.
Il y a lieu de rappeler que les statuts des universités publiques du Togo résultent effectivement de la loi n°97-14 du 10 septembre 1997. Cette loi a été modifiée par la loi n°2000-002 du 11 janvier 2000, ensuite par la loi n°2006-004 du 03 juillet 2006, puis par la loi n°2014-002 du 09 avril 2014.
Cela dit, j’exposerai le régime des compétences de nominations des responsables des organes au sein des Universités publiques du Togo, après avoir traité du pouvoir de création des postes au sein desdites établissements.
LE POUVOIR DE CREATION DES POSTES AU SEIN DES UNIVERSITES PUBLIQUES DU TOGO
L’article 5 nouveau de la loi de 1997 portant statuts des Universités publiques du Togo, dans sa rédaction issue de la loi n°2014-002 du 09 avril 2014, dispose que « L’enseignement supérieur est structuré de la manière suivante :
- Un organe central : le conseil de l’enseignement supérieur.
- Des organes propres à chaque université :
- Le conseil de l’université ;
- Le président de l’Université ;
- Les facultés, écoles et instituts ».
L’article 15 nouveau de la loi de 1997 portant statuts des Universités publiques du Togo, dans sa rédaction issue de la loi n°2014-002 du 09 avril 2014, dispose que « le conseil de l’université se compose :
- du président de l’université, président ;
- des vice-présidents de l’université, vice-présidents ;
- des doyens et directeurs des établissements de l’université ou, en cas d’empêchement, des vices-doyens et des directeurs adjoints ;
- des directeurs des services centraux de l’université ;
- d’un représentant du corps enseignant par établissement, élu par ses collègues ;
- de l’agent comptable de l’université ;
- du secrétaire général de l’université ;
- du contrôleur financier ;
- d’un représentant des personnels administratif et technique élu par leurs représentants aux assemblées de facultés, écoles instituts et services ;
- de deux délégués des étudiants élus par leurs représentants aux assemblées de facultés, écoles et instituts ;
- d’un tiers des membres du conseil, représentant le secteur économique et social, nommé par le (les) ministre chargé de l’enseignement supérieur ».
L’article 20 de la loi de 1997 portant statuts des Universités publiques du Togo, dans sa rédaction restée inchangée depuis son entrée en vigueur, dispose que « Le conseil de l’université décide des créations, des transformations et des suppressions de postes ».
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Il résulte donc de cette disposition de la loi de 1997 que le pouvoir de création, tout comme celui de transformation et même de suppression de poste au sein des Universités publiques du Togo, relève de la compétence du Conseil de l’Université.
Autrement dit, le Président d’une Université publique du Togo n’a pas compétence pour créer (transformer ou supprimer) de façon discrétionnaire un poste dans l’administration universitaire qu’il dirige.
Ainsi donc, comme le soutient le ministre de l’Éducation nationale, Mama OMOROU, effectivement le professeur Kossivi HOUNAKE est légalement incompétent pour créer unilatéralement un poste de directeur de cabinet de la Présidence de l’Université de Lomé. L’arrêté n°057/UL/P/SG/2025 du 08 octobre 2025 portant création d’un poste de directeur de cabinet du président de l’Université de Lomé est un texte illégal.
Il y a lieu de souligner, sans toutefois trop s’y attarder, que conformément à l’article 19 nouveau de la loi de 1997 portant statuts des Universités publiques du Togo, dans sa rédaction issue de la loi n°2014-002 du 09 avril 2014, « Le conseil de l’université délibère sur le projet de budget de l’université. Il répartit les crédits entre les différents établissements et services. Il transmet au ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche les propositions budgétaires pour approbation ».
Si le Président d’une Université publique du Togo est incompétent pour créer unilatéralement un poste dans l’administration universitaire, peut-il, pour autant, nommer unilatéralement un directeur central au sein de son université ?
LE POUVOIR DE NOMINATION DES DIRECTEURS DES CENTRAUX AU SEIN DES UNIVERSITES PUBLIQUES DU TOGO
Le chapitre II du Titre IV de la loi du 10 septembre 1997 intitulé ‘‘Des chefs services et des personnels administratifs – Technique et de service’’ est resté inchangé depuis l’entrée en vigueur du texte en 1997.
L’article 72 dispose ainsi, depuis 1997, que « Les services de l’administration centrale des universités sont placés sous l’autorité de directeurs nommés par arrêté du ou des ministres de tutelle sur proposition du président de l’université.
Il est mis fin à leurs fonctions dans les mêmes formes ».
En revanche, l’article 73 dispose, depuis 1997, que « Les chefs de services administratifs des facultés, des écoles, des instituts et les chefs des services de la présidence de l’université sont nommés par arrêté du président de l’université.
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En outre, l’article 69 dispose, depuis 1997 que « Le secrétaire général de l’Université est nommé par décret en conseil des ministres sur proposition du ou des ministres chargés de l’enseignement supérieur. (…) ».
Il s’ensuit que le législateur togolais a depuis 1997 fixé le régime de répartition des compétences pour nommer les responsables des administrations centrales et des services administratifs ainsi que du secrétariat général au sein des universités publiques du Togo.
Ainsi, par ordre croissant, on note que, dans les universités publiques du Togo :
- La nomination des chefs de services administratifs relève de la compétence du Président de l’université (article 73) ;
- La nomination des directeurs des services centraux relève de la compétence du ou des ministres de tutelle mais sur proposition du Président de l’université (article 72) ;
- La nomination du secrétaire général relève, pour sa part, de la compétence chef du Gouvernement qui y procède par décret en conseil des ministres, sur proposition du ou des ministres de tutelle (article 69).
Ainsi donc, comme le soutient également le ministre de l’Éducation nationale, Mama OMOROU, effectivement le professeur Kossivi HOUNAKE est légalement incompétent pour nommer le directeur d’un service central au sein de l’Université de Lomé. L’arrêté n°060/UL/P/SG/2025 du 08 octobre 2025 portant nomination de Monsieur Kodjo SOSOE au poste de directeur de cabinet du président de l’Université de Lomé est bien un acte administratif illégal.
En définitive, que ce soit sur la question de la compétence pour créer un poste de direction centrale ou sur celle de la compétence pour nommer un directeur central au sein d’une Université Publique du Togo, qui oppose le Président de l’Université de Lomé au ministre de l’Éducation nationale, c’est bien l’autorité de tutelle du secteur éducatif togolais qui a raison.
Cependant, le ministre de l’Éducation nationale ne s’est pas arrêté aux arrêtés illégaux du professeur HOUNAKE. Dans le même sillage, Monsieur Mama OMOROU a, par Décision n°205/2025/MEN/CAB/SG du 12 novembre 2025 abrogé la note de service n°009/MEPST/CAB/SG du 12 juin 2024 relative à la composition du comité de coordination du Programme de coopération Togo-UNICEF dans le domaine de l’éducation. A travers cette importante abrogation, le nouveau ministre de l’Éducation nationale montre que même les actes pris par l’ancien ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique, le professeur Dodzi KOKOROKO, du moins sous son ministère, seront passés au peigne fin au nom de la légalité, de la cohérence de l’action administrative.
Il est surabondant de rappeler que trois récents arrêtés du professeur Dodzi KOKOROKO, désormais ministre de l’environnement, des ressources forestières, de la protection côtière et du changement climatique (MERFPCCC), ont été annulés par le Secrétaire Général du Gouvernement, Monsieur Stanislas BABA, pour les mêmes raisons que celles qui militent en faveur de l’abrogation des arrêtés du Président de l’Université de Lomé, le professeur Kossivi HOUNAKE, par son ministre de tutelle, Monsieur Mama OMOROU.
Contrairement à leurs prédécesseurs, le Secrétaire Général Stanislas BABA et le ministre OMOROU semblent être, tous les deux, bien déterminés à veiller à ce qu’aucun membre du gouvernement ou responsable d’institution de la République s’arroge et exerce plus de pouvoirs que ceux que les lois et les règlements en vigueur leur confèrent réellement. Mais, auront-ils les coudées franches pour aller au bout de cette démarche ?